Martine Laval | TÉLÉRAMA | 26.09.09

Qui est-il, celui-là même qui se raconte ? Il se dit « hypocrite, timide, vaniteux ». Il l’est. Il ajoute – et là est tout le miel de ce livre plein d’ambivalence : « Que suis-je d’autre qu’un produit frauduleux parmi tous ces hommes véritables ? » Plongée immédiate dans Contrebande, roman d’aventures, du questionnement existentiel, digne tant de Jack London que de Hemingway, et signé Enrique Serpa (1900-1968).
Années 20 à La Havane. Le poisson se fait rare. Les marins et leurs familles crient famine. Le narrateur, propriétaire de la goélette La Buena Ventura, reste amarré à ses regrets. Un tantinet pleutre mais superbement attachant, il se lamente, vomit ses semblables et leurs passions sordides – mauvais alcools, jeux d’argent, prostituées usées. Il traîne son désarroi, nous offre des pages effervescentes sur un port d’agonie, sur ces hommes et ces femmes à la dérive, épaves parmi les bateaux à quai. Il se laisse emporter dans des rêves de fortune par un capitaine âpre au métier, appelé Requin. Bientôt, le patron de La Buena Ventura vendra son âme au diable, à ce Requin des bas-fonds, pour le meilleur et le pire.
Ecrit en 1938 et pour la première fois traduit en français, Contrebande est un livre rare. On y perçoit des atmosphères colorées, des sensations ambiguës, sinon contradictoires. Chaud, froid, rire, chagrin… : Enrique Serpa met en scène avec amour et sensualité sa ville et ses compatriotes, dans cette tragi-comédie humaine, terriblement humaine.

Anne de Saint-Amand | LE FIGARO MAGAZINE | 19.09.09

Cuba libre
Quel dommage qu’aucun cinéaste tel que Ford ou Curtiz ne se soit emparé de ce trésor littéraire ! Publié en 1938, Contrebande est un roman viril et enivrant, aujourd’hui tiré des eaux de l’oubli grâce à une excellente traduction française. Dans la Cuba des années 20, la pêche ne nourrit plus son homme, alors nécessité fait loi. L’Amiral, neurasthénique propriétaire de la goélette La Buena Ventura, se laisse convaincre par Requin, son fascinant capitaine, de se lancer dans la contrebande de rhum. L’équipage laisse derrière lui La Havane, ses cabarets, ses crimes et l’indigence qui mènera plus tard l’île à la révolte. A bord, il y a la peur, la dureté des hommes et de la mer, la vulnérabilité aussi. Enrique Serpa aurait dû écouter le conseil d’Hemingway et écrire davantage.