Ces huit nouvelles témoignent d’une rupture avec le patriarcat encore vivace qui longtemps inféoda corps et âme la femme coréenne aux pères et aux maris. On peut même dire que ce recueil révèle de manière exemplaire une société dissimulée sous sa culture de l’aliénation féminine, et plus encore qu’il montre crûment cette réalité commune de la soumission aux codes et aux rôles établis, de la misère sexuelle, de la prostitution quasi instituée, de l’importance étrangement fusionnelle de la nourriture dans le lien familial et la sociabilité, et enfin de cette folle aspiration à la liberté née du pôle féminin. Nos écrivaines s’autorisent une violence de témoignage et une crudité d’inspiration tour à tour pathétique ou désarmante. Ainsi avec le Couteau de ma mère, montrant l’amour de la narratrice pour une mère identifiée à son couteau inoxydable manié pendant toute une vie de cuisine. Ou encore avec les Chiens au soleil couchant, où l’on accompagne une fillette abandonnée à un père qui sombre dans le désespoir, la misère et l’ivrognerie… La nouvelle, cet art majeur au Pays dit du matin calme, prend toute la véhémence du roman naturaliste pour nous exposer le destin d’un pays, depuis la guerre coloniale jusqu’aux beaux jours du miracle économique, en passant par les années noires de la dictature, sur fond de bouddhisme, de christianisme, sans oublier ce chamanisme des mudang que les femmes perpétuent en secret : le monde des esprits cohabite ici avec la plus coriace réalité, celle de la subsistance et de la procréation.