André Clavel | LIRE | juin 2013

Madoff aux Indes

Ascension et déchéance d’un petit escroc indien devenu vendeur d’illusions financières.
Un roman quasi balzacien.

Les éditions Zulma ont la lumineuse idée de renflouer peu à peu l’oeuvre
monumentale de l’Indien Narayan. Né à Madras en 1906, mort en 2001, il a été
journaliste avant de se frotter à la littérature- romans, nouvelles, chroniques -, composant un gigantesque panorama où se profile toute l’histoire de l’Inde depuis l’époque de la domination britannique. Avec des personnages jamais reluisants, autant d’acteurs d’une « comédie triste» où l’existence est toujours dépeinte comme une succession de renoncements et de trahisons. Quant à la bourgade fétiche de Narayan, c’est bien sûr Malgudi, sorte de Macondo de l’Inde du Sud qui servait déjà de théâtre à la grinçante comédie de Narayan rééditée l’an dernier, Le Guide et la Danseuse, chronique d’une imposture qui permettra à un guide touristique roublard de devenir le gourou d’une populace trop crédule.

On ne change pas de décors avec Le Magicien de la finance, où le romancier brosse le portrait d’un brasseur de roupies, Margayya, qui a la très juteuse idée de créer sa propre banque à ciel ouvert, au pied d’un banian. Il lui suffira d’une bouteille d’encre, de quelques paperasses et d’entourloupettes habilement orchestrées pour se remplir les poches, jusqu’au jour où son jeune fils Balu – un insupportable enfant-roi – jette ses registres dans les égouts de Malgudi… Le voilà donc sur la paille, privé de ses transactions si lucratives et contraint d’aller implorer Lakshmi, la déesse de la Prospérité, avant de rencontrer le diabolique Pal, sorte de Méphisto indien qui, en échange de son âme, lui vendra un manuscrit passablement sulfureux, puisqu’il s’agit d’un traité d’éducation sexuelle. Une aubaine, pour Margayya, qui fera imprimer l’ouvrage, s’enrichira de nouveau et laissera fructifier ses affaires sans savoir que le cruel Narayan a bien sûr programmé sa chute, tout aussi spectaculaire que son ascension sociale.

Portrait d’un petit escroc reconverti en marchand d’illusions, le très balzacien Magicien de la finance est un bijou d’ironie caustique, dans une Inde « vaincue par l’argent et le sexe ». Autres fléaux, la bureaucratie et la bigoterie, cibles constantes de cette fable vieille de soixante ans. Mais assez prophétique pour que son héros fasse sans cesse penser à un autre charlatan, un certain Bernard Madoff.