La conteuse de verre

À l’instar de Respiration artificielle, le roman qui, en 1980, a imposé Piglia comme un auteur central en Argentine, la Ville absente (1992) fait partie de ces livres qu’il faut lire plusieurs fois pour en percer les mystères. Le héros, Junior, est journaliste à Buenos Aires. Une mystérieuse informatrice le somme de se rendre au Majestic, un hôtel décrépi de l’avenue Mayo ; là, dans une chambre parfumée, une certaine Lucia le met sur la piste d’une machine en forme de femme, conservée dans un musée “derrière une paroi de verre” et programmée pour produire une infinité d’histoires… L’enquête de Junior commence, déambulation surréelle à travers la ville à la recherche de cette femme-machine qui rappelle l’Invention de Morel de Casares. Hors de toute linéarité, Piglia nous plonge dans une toile de récits, parsemée de références historiques et truffée d’allusions littéraires, notamment à l’écrivain Macedonio Fernandez dont l’ombre plane sur le texte. S’agit-il d’un roman, d’une mosaïque de nouvelles, d’une œuvre de critique déguisée en fiction ? On sort de cette jungle à la fois perplexe et charmé, avec l’envie d’y replonger aussitôt pour mieux la comprendre, quitte à retomber sur ces mots prophétiques de Lucia: « Le langage tue. » Nous voilà avertis.

Bernard Quiriny | LE MAGAZINE LITTERAIRE | 01.09.09