L’olive et le territoire, une fable de Benny Barbash qui dénoyaute Israël

C’est si incongru d’éclater de  rire en lisant un roman évoquant la Shoah et le conflit israélo-palestinien que l’auteur de ce petit miracle mérite d’être salué. D’autant que cet homme est en passe de devenir une des figures de la littérature israélienne. Benny Barbash n’est pas totalement inconnu en France puisque son précédent livre, My First Sony, avait reçu le prix grand public de Salon du Livre de Paris en 2008. Avec Little Big Bang, ce dramaturge et scénariste creuse la veine de la fresque familiale sur fond de soubresauts de la société israélienne. Little Big Bang, à vrai dire, relève davantage de la fable.

L’histoire est abracadabrante et poétique, voyez un peu : un bon père de famille israélien frôlant l’obésité, par la faute – on le suppose – de ces schnitzels (escalopes panées) et bambas (chips) dont les Israéliens raffolent, décide un jour de maigrir à tout prix. Malgré les moqueries affectueuses – et savoureuses – de sa femme et de ses parents, il s’astreint à tous les « tout » : le tout-fruit, le tout-viande, le tout-carotte… jusqu’au jour où une diététicienne de renom lui suggère le tout-olive. Fort bien. Sauf qu’un matin de shabbat, à force de gober ces petites choses glissantes à la pelle, il s’étouffe avec un noyau, lequel reste coincé dans son épigastre et finir par donner naissance à… un olivier qui va pousser à travers son oreille ! Pas besoin d’être grand psychologue ou grand géopoliticien pour comprendre l’allégorie de l’olivier, symbole de paix, et surtout de racines. « Lorsque maman tenta de saisir la chose et de tirer dessus, papa laissa échapper un tel hurlement qu’elle lâcha prise aussitôt, effrayée. Ce fut peut-être, dans toute cette histoire étrange, sa plus grande erreur, comme nous l’expliquerait bientôt Abu Rudjum. Nous aurions pu encore déraciner cette chose, avant qu’elle ne se transforme en une colonie illégale que l’on ne peut plus déloger. » Nous y voilà, la colonisation, ce grand mal de la société israélienne d’aujourd’hui, que notre romancier choisit de tourner drôlement en ridicule, ce qui donne à la condamnation bien plus de férocité. Il n’est en effet pas interdit de faire le parallèle avec certaines déclarations de colons intégristes interdisant de prendre part à « toute action qui viserait à déraciner les Juifs de n’importe quelle partie de notre terre sacrée ».

Né à Beer-Sheva en 1951, soit trois ans après la création de l’Etat d’Israël, Benny Barbash raconte avec une drôlerie sans nom – et aussi beaucoup de tendresse – les tensions et les contradictions qui hantent cette génération d’après la Shoah, déchirée entre ses angoisses existentielles, ses mythes fondateurs, son désir de modernité et son malaise vis-à-vis du problème palestinien. Allez, on n’y résiste pas : « Le grand problème avec le sens de l’honneur des peuplades primitives, c’est qu’il est impossible de prévoir ce qui va les offenser. Il faut se montrer très prudent, tout ce que vous dites ou ne dites pas pouvant être pris pour une offense, auquel cas, comme je viens de l’expliquer, vous êtes foutu. C’est pourquoi il est particulièrement difficile de conclure avec eux le moindre accord de paix… »
Alexandra Schwartzbrod, Libération, 10 février 2011