Retiré dans l’île de Honshu, au Japon, Matabei s’éloigne du monde, goûtant les charmes paisibles de la contrée d’Atôra au nord-est de l’île. C’est bien à cet endroit que se trouve la pension de Dame Hison, vieille courtisane qui offre à notre ermite le gîte et le couvert en échange de nuits d’amour.

Matabei s’adapte peu à peu à sa nouvelle vie et fait la connaissance des pensionnaires. Il contemple la nature, arpente montagnes et lacs, se plonge dans la méditation pour oublier le sourire d’une jeune fille qui le hante. L’auberge fourmille de personnages dignes d’un film d’Ozu : un soûlard indélicat qui raille la vieille servante, un couple d’amants, une jeune fille diaphane, le jeune commis et bien d’autres encore…

Dans cette galerie de personnages, un semble attirer l’attention du nouveau pensionnaire : maître Osaki, le jardinier. C’est un homme discret qui vit dans l’atelier attenant à l’auberge. Matabei devient son disciple. Maître Osaki est avant tout un peintre d’éventails. Il enseignera au nouveau venu l’art des haïkus, le secret des saisons et de la confection des estampes qui remontent aux temps anciens.

Hubert Haddad nous dépeint ici un Japon éternel dans un contexte historique contemporain évoqué par touches subtiles. Ce n’est pas un roman sur le séisme de Kobe ou les guerres du XXe siècle. Ces grandes pages de l’histoire du Japon sont le prétexte de l’errance des personnages et de leur rencontre dans un lieu éternel retiré du monde et du temps. Pourtant, cette région sera le théâtre de diverses catastrophes nées de la folie des humains. La pension connaîtra une période tragique, avec des amants retrouvés enlacés sous les décombres, la vieille Dame Hison morte en kimono, tandis que le jardin et les éventails seront détruits. Matabei, dans ce champ de décombres, devient en quelque sorte le témoin d’un monde qui s’est effondré.

Hubert Haddad a sans doute écrit là l’un de ses plus beaux livres, dont l’originalité et le ton marquent à jamais le lecteur. Le Peintre d’éventail est un vibrant hommage à la culture et à l’histoire japonaises contemporaines, mais aussi une virulente dénonciation de l’inconscience des hommes et de leurs actes devant la nature. Le constat est macabre : quand une catastrophe naturelle amplifiée par les explosions radioactives transforme le monde en un immense cimetière, ce sont des siècles de sagesse, de méditation et de célébration des ancêtres qui s’effacent du jour au lendemain. Et c’est notre humanité qui est en jeu…

Alain Mabanckou, Jeune Afrique